Le symbole de toute une époque.

1980, la France giscardienne est en fin de règne, mais personne ne le savait encore. La jeunesse est bouillonnante, tellement peu considérée, incomprise par la France d’en haut. Seule exutoire à cette frustration : la musique. Mais là encore, la frustration est grande. Le punk rock, musique de rebelle, n’est encore qu’un effet de mode singeant les anglais, loin d’avoir la consistance qu’il trouvera quelques années plus tard grâce à la scène alternative. Le Rock reste trop naïf, trop gentillet, TELEPHONE, OCEAN ou GANAFOUL proposaient certes une musique énergique, efficace, mais dont le discours était loin d’embraser les foules. Pourtant, en ces temps d’incompréhension, de manipulation médiatique (les choses ont-elle réellement changés ?), de dialogue de sourd, les gamins d’hier, quadragénaire d’aujourd’hui, attendaient autre chose, attendaient le groupe qui dirait tout haut ce que beaucoup pense tout bas, le groupe qui allierait discours radical et dureté des accords saturés. Mais surtout, ils attendaient l’hymne ultime, un titre fédérateur qui devait traverser les âges sans jamais se ternir.

Tout cela allait se produire : « Antisocial, tu perds ton sang-froid », voilà la phrase qui allait rassembler, fédérer les jeunes et les moins jeunes. Un hymne, un tube, un album qui allait s’écouler à pas moins d’un million d’exemplaire en même pas une année. Répression, l’album de hard français le plus vendu de tout les temps, mais aussi l’album de metal, tout style et tout groupe confondus, qui s’est le mieux vendu en France. Bref, un succès inégalé et inégalable. Et, rassurez-vous, on est loin d’un simple coup médiatique. TRUST, un nom qui allait s’inscrire aux marqueurs à l’arrière des sacs US de nombreux lycéens, le combo auteur de la dite galette, n’avait pas volé son succès. Parti de rien du tout, ce groupe issu de la banlieue parisienne réussi à écouler jusqu’au disque d’or son 1er album sorti en 1979 alors que seulement 20 personnes se pointaient aux premiers concerts. Le bouche à l’oreille fit le reste grâce à un 1er album excellent et à une réputation live redoutable. Il faut dire qu’avec Bernie Bonvoisin, un chanteur (ou plutôt un gueulard, un brailleur, un performer) terriblement charismatique, issu des quartiers difficile de Nanterre et au discours sans concession, allié au talent de Nono Krief, premier guitare héro français, au style et au touché des plus personnels, TRUST avait tout pour s’imposer. A un tel point que même les anglais et les allemands lui firent de l’œil.

Plus qu’un simple excellent disque de hard rock (comme il y en avait beaucoup à l’époque), Répression est une œuvre avant-gardiste et provocante. Avant-gardiste car nos musiciens ne peuvent se contenter de jouer un hard rock bas du front comme celui d’AC/DC (qu’ils vénèrent pourtant, l’album est d’ailleurs dédiés à Bon Scott), ils ont besoin d’incorporer d’autres éléments, d’autres influences. Nono s’est fait les doigts sur des groupes autrement plus techniques à la TEN YEARS AFTER, Bernie n’hésitait pas à chanter du OTIS REDDING. Tout cela se ressent sur cet album, piano et saxophone sur « Fatalité », section de cuivre sur « Au nom de la race », blues avec « Saumur ». Répression est déjà un album de fusion, et il préfigure l’avenir du groupe : jamais ils ne pourront stagner musicalement, l’évolution sera toujours de mise. Mais les bases restent foncièrement hard, rythmique archi carré, riff en acier trempé (« Antisocial », « Instinct de mort », « Le mitard »), et même des moments de pur heavy metal (le très speed et vindicatif « Les sectes ») où le groupe se fait très violent pour l’époque.
Œuvre provocante, TRUST n’hésite pas à utiliser un poème de Jacques Mesrine, ancien ennemi public n°1 abattu par la police, pour servir de parole au morceau « Le mitard », un pamphlet réussi sur la condition carcérale. Le thème carcéral sera étayé par Bernie avec « Instinct de mort » et « Sors tes griffes », à grand coup de slogans, parfois un peu exagérés et naïfs, certes, mais ayant le mérite de critiquer un système qui ne fonctionne pas, sans pour autant excuser les actes des criminels cités par le chanteur aux cheveux court (détail qui avait son importance à l’époque). Des textes toujours forts, martelés avec une hargne et une conviction rarement égalé depuis, Bernie croît et vit ce qu’il dit, impossible de ne pas boire ses paroles. Une prestation vocale exceptionnelle largement mise en valeur par la production (qui reste à mon avis la meilleure qu’ait eu TRUST durant sa première partie de carrière), également bien secondé par les backing-vocaux du bassiste Vivi (sur « Antisocial » notamment).

Des riffs mémorables, des soli concis redoutablement efficaces et mélodiques, des paroles aux vitriols, tellement vrai. Mais aussi un refus de toute convention établi, des morceaux aux structures imprévisibles, loin des standards habituels. TRUST fit un carton plein, un album où la notion même de notation ou de critique y perd tout son sens ou sa pertinence.
Plus de 25 ans après, les paroles de Répression sont toujours, malheureusement, autant d’actualités : la condition carcérale s’est peut-être un peu améliorée mais que dire de la situation dans les cités (« Fatalité ») ou de la montée de l’extrémisme religieux (« M. Comédie », « Les sectes ») ?
Et « Antisocial » demeure désespérément intemporel.

C'est quoi, un hard rock "bas du front"....

C'est pas péjoratif pour moi, mais disons que c'est du hard rock assez basique.

méthodes militaristes
gens sur lesquels
je PIIIISSSSSEEEE

\m/

Globalement d'accord avec DS. Cet album tue. Encore un régal à écouter. Court mais intense et effectivement relativement varié.

Par contre pour ton "sans pour autant excuser les actes des criminels", je ne vois pas vraiment. Pour le texte de Mesrine ok, c'est plus une description du monde carcéral. Mais ils jouent aussi à fond la provocation en utilisant un de ses textes.

Sur Instinct de Mort par exemple (où on parle de Mesrine aussi), il dit bien "Je ne veux pas le juger, je ne veux pas le glorifier" mais ça reste timide. Evidemment le thème est plus la main de fer (et même pas dans un gant de velour) de l'Etat.

A part ça un truc passionnant chez Trust et qui a lui a permis de forger sa légende ce sont les relations entre ses membres notamment Bernie et Nono. On dépasse le cadre de la kro certes mais c'est intéressant de voir que ce groupe avait le potentiel de tout détruire à l'étranger et ça n'a été que partiellement le cas.

J'en profite pour dire que Bernie a sorti un livre sur l'époque où il vivait en banlieue (à Nanterre effectivement), Sirop d'la rue ça s'appelle.

Ben oui c'est provocant, je l'ai dit dans la chro, , et la phrase de "instinct de mort" se suffit à elle-même je trouve, il le confirmait dans les interview. Après, le propos est plus à la dénonciation du système, donc il va pas se mettre à persécuter des mecs déjà condamnés, d'autant qu'il aimait bien dire qu'il aurait fini en taule si il n'avait pas eu la musique. Mais bon le Bernie, il aime bien grossir les choses (le "cinq par cellule il reste une place pour ton fils", c'est quand même archi exagéré).

Je savais pas que Bernie avait sorti un bouquin dans sa jeunesse, je ne suis au courant que pour ses deux livres plus récent (que j'ai pas lu d'ailleurs), intéressant.


En tout cas, j'ai réecouté Répression plusieurs fois ces derniers temps, et j'ai été étonné de constater à quel point il avait conservé sa force, éffarant. C'est également rigolo d'arriver au taf le matin en écoutant à fond "Instinct de mort", l'effet est garanti!!

Cet album fait partie des incontournables de mes années lycée.
Tout le monde l'avait, on l'entendait partout, un succés incroyable !!!

Aujourd'hui, je trouve que c'est probablement l'album de TRUST qui a le moins bien vieilli.
En effet, l'inconvénient des textes collant à leur époque, c'est qu'ils périment avec elle. Or, nul album ne fut plus en phase avec son temps que Répression.

Ce qui m'interpelle par contre, c'est de voir qu'il conserve son statut d'album "culte" auprès des jeunes d'aujourd'hui.
La plupart des gens de ce forum n'avaient jamais entendu parler de Jacques Mesrine ou de Khomeyni avant de découvrir ce disque (certains n'étaient même pas nés à l'époque des faits). J'ai donc du mal à cerner ce qui les touche dans ces textes aujourd'hui complètement has-been, et ce d'autant plus que les causes à défendre et les raisons de s'indigner ne sont pas ce qui manque dans la société actuelle.

Même sans être né à l'époque des faits, on a quand même un minimum entendu parler de Khomeyni et de Mesrine, par contre, sans avoir connu l'époque et le contexte, les paroles d'instinct de mort (et dans une moindre mesure le Mitard) font déplacées, on a l'impression que Mesrine est glorifié et présenté comme une victime, alors que Monsieur Comédie, par exemple, passe encore bien hors contexte.

Désolé je pense que tu as complètement tort.

J'ai découvert cet album à l'âge de 14 ans je crois, soit en 1994, une année difficile pour moi. Et Mesrine, oui je connaissais, Khomeiny pas vraiment et il est vrai que j'avais beaucoup de mal à comprendre le sens des paroles de ce morceau. Mais vraiment si j'ai adoré ce groupe, c'est en grande partie parceque les textes de Bernie me touchait vraiment, je me sentais concerné. Donc clairement, pour moi ces textes me paraissait actuel, en phase, et quand je réecoute ce disque aujourd'hui (soit en 2007!) ben c'est pareil!

Et tu sais pour Mesrine, il est loin d'être oublié. J'ai encore eu la semaine dernière un jeune détenu qui m'en a parlé. Ce type restera à jamais la "star" du monde carcéral.

Après, je vois vraiment pas en quoi des textes comme "le mitard", "instinct de mort", "antisocial" ou "fatalité" sont has-been. Au contraire. Leur force c'est justement qu'on peut tout à fait les tranposé à aujourd'hui. Pour "M. Comédie", on peut facilement transposer le texte avec les évenement post-11 septembre, la montée de l'intégrisme ("Les femmes doivent se voiler, la musique prohibée" ça rappelle pas l'afganistan ça?).
Pour "fatalité", quand il l'on joué en 2006 Bernie à évoqué les voitures brûlé dans les cités, bref, encore un texte complètement actuel.

J'aurai mieux compris ta critique si elle concernait l'album Marche ou crève, qui fait beaucoup plus référecne à des êvement ponctuel, avec plein de nom de lieu ("la junte", "les brutes", "les templiers"). Mais bon là aussi, il faudrait pas grand chose pour les rendre actuel ces textes.

J'attends avec beaucoup d'impatience ta chro sur Marche ou crève pour que nous puissions en débattre.

Par contre, ton parallèle entre l'Iran des mollahs et la période post-11 septembre 2001 n'a pas lieu d'être, les situations n'étaient en rien similaires.
De plus, les talibans avaient la mainmise sur l'Afghanistan bien avant 2001.

Je veu surtout évoquer l'intégrisme, les situations sont différente ok, mais la thématique est un peu près la même.


Bon la chro de Marche ou crève n'est pas prévu et je ne la ferai sans doute pas car je vois pas trop ce que je pourrai ajouter de plus aux chros déjà faite (fishbowl sur nightfall, Ultima ratio ici même, on avait donc déjà parlé de cet album, je t'invite à aller lire le sujet). J'ai fait celle ci surtout pour Nime (j'ai d'ailleur du corriger 2 ou 3 lourdeurs), la chro du site étant très légère.