Enslaved - Isa
Ne possédant à ce jour que cet album d'Enslaved, je ne m'aventurerai pas à vous faire un topo détaillé sur la discographie du groupe ou son historique. Je ne suis pas assez calé en la matière.
Tout juste sais-je que, paraît-il, ils ne prirent que très peu part aux activités extra-musicale de la scène black norvégienne au début des années 90. Je ne sais pourquoi, peut-être étaient-ils moins extrémistes que leurs camarades ou tout simplement un peu timorés en raison de leur jeune âge (l'un d'entre eux n'avait que quatorze ans en 1991 !). Toujours est-il que ce ne sont pas des assassins ou des brûleurs d'églises. Ce n'est pas plus mal, vous en conviendez
Cela ne posa qu'un seul ennui : ils en retirèrent une image de gars pas assez dangereux ou interessants pour que l'on parle d'eux dans les média, d'où une classification un peu hâtive dans la catégorie des seconds couteaux. Moins minimalistes, extrêmes, violents, sulfureux ou flamboyants que leurs compagnons (sauras-tu, ami lecteur, acoller ces adjéctifs aux groupes correspondants ?), ils ne pouvaient que perdre la course à la popularité plus ou moins morbide entourant ce courant.
Mais ils ont persévéré. Et finalement, alors qu'aujourd'hui les grands noms d'hier font du sur-place (Darkthrone), se sont au contraire lancé dans une voix extrêmement expérimentale qui en rebute plus d'un – et notament les fans de la première heure – (Mayhem), ou ont disparu (Burzum, Immortal, Emperor, encore que nous ne soyions pas à l'abri d'une reformation pour ces derniers), ils se pourrait bien qu'ils soient enfin reconnus à leur juste valeur.
Dans la grande tradition de recherche de l'originalité stylistique et sonore de la seconde vague black à laquelle Enslaved appartient, leur offrande sur cet Isa est quelque part au confluent entre le black, le viking, le heavy et le thrash.
Le côté black est présent par la voix, les blasts, relativement peu fréquents, la caisse claire, les guitares dans les aiguës, une production crue (mais néanmoins de qualité fortement acceptable). Bref, tous les atours classique du genre. Pourtant on repérera une différence notable au niveau de l'ambiance. Enslaved ne cherchent pas (plus ?) à effrayer, à déranger, à développer une atmosphère malsaine. Au contraire, de leur musique se dégage un climat appaisé et appaisant, presque, oui, serein (c'est flagrant au début de Neogenesis).
Pour ce qui est de l'influence viking metal, notez que, si le groupe est, forcément, inspiré par Bathory, il n'exprime pas vraiment sa « vikingitude » de la même manière. Moins portée sur les ambiances et les passages guerriers, la Enslaved-touch nous narre les anciens Dieux, légendes et nature nordiques de façon épique, au sens premier du terme. Ce sont vraiment des histoires en musique, avec leurs lots de progressions, de montées en puissance et d'accalmies. En cela, ils peuvent être rapprochés de Maiden et certaines de leurs compos telles que Rime Of The Ancient Mariner ou Seventh Son Of A Seventh Son, dont Neogenesis est un peu la version prog black.
Ce qui m'amène aux touches heavy, assez prononcées sur cet opus. Riffs thrashy ou plus heavy, sur Lunar Force par exemple, mais aussi sur Return To Yggdrasill ou Ascension. Cet attribut se retrouvent un peu partout sur le disque, à l'image de la voix claire, parsemant le disque d'une touche de relative douceur bienvenue.
On trouvera également quelques nappes de claviers sur certains morceaux (proches de ce qu'on peut trouver sur le SSOASS de la Vierge de Fer sur Neogenesis), l'instrument étant assez en retrait dans le mix et se devinant en général plus qu'il ne s'entend. Il faut dire que le son est plutôt dense, empêchant peut-être le claviériste de s'exprimer pleinement.
Difficile de dégager des titres favoris, tant l'ensemble est cohérent et de qualité. Je citerai néanmoins Lunar Force, tour à tour black, thrash et heavy (et contenant des vocaux additionnels d'Abbath pour l'information). Neogenesis, plus prog dans l'esprit, porté par belles interventions du chant clair et du clavier et son final soloïsant ébouriffant. Ascension, mid-tempo très heavy dans l'âme, Bonded By Allegiance aux riffs saccadés où Nocturno Culto (Darkthrone) vient nous faire grâce de quelques interventions aux growls, ou encore Return To Yggdrasill, titre heavy soutenu par une guitare acoustique bienvenue.
Ah oui, tout de même, ça fait la moitié du disque. Et encore, en comptant l'intro et l'outro, petites pièces ambient de même pas une minute chacune, pas désagréables au demeurant, mais en aucun cas indispensables.
Le reste, bien qu'il ne démérite pas, n'est peut-être pas de la même trempe. Encore que l'instrumental Secrets Of The Flesh vaille sont pesant de cahuètes.
En conclusion, un album à la croisée de plusieurs styles, qui ne sera sans doute pas du goût des puristes beumeuhs, mais pourra en séduire d'autres, dont les oreilles plus chastes ou plus attirées par un metal plus classique, qu'il soit heavy, thrash, voire même prog.